Au printemps 2020, confinement oblige, il fallait se réinventer pour rester en lien avec les contes et les publics. D’où l’idée d’organiser des rendez-vous de contes « en live », sur une plate-forme de visio-conférence.

Au départ une séance pour essayer, à l’arrivée huit séances hebdomadaires pour les enfants de trois à six ans, deux séances pour les enfants de six à douze ans et une séance pour les adultes… le tout entre début avril et début juin.

Très vite une éducatrice en PMI, convaincue de l’intérêt du projet, relaie l’information auprès de familles habituellement en contact avec la PMI. Avant chaque séance, elle leur envoie le lien de connexion et les appelle pour les encourager à « venir ». Puis elle les aide à se connecter, souvent leur enseigne comment utiliser l’outil qui les reliera à la séance. Chaque semaine, elle assiste elle-même aux contes, puis envoie un mail à tous pour saluer leur présence et leur demander leurs impressions.

Intéressé par cette expérience, le Conseil départemental du Val de Marne soutiendra deux séances pour les petits, avec les familles concernées.

Une mosaïque d’images vidéo, les unes floues, d’autres bien éclairées, certaines filmées de près et d’autres en plan large…

Des enfants allongés sur leur lit, d’autres immobiles face à la caméra ou à la recherche d’une position confortable…

Des parents tenant leur bébé sur les genoux, ou en retrait par rapport à leurs petits… Ils sont là, une tasse à la main et y resteront, rapidement captivés par l’événement ou témoins étonnés de l’attention de leurs enfants….

… Chacun s’est installé comme il voulait, pour répondre à l’invitation de la conteuse. Qu’on se soit connecté par l’ordinateur familial ou un téléphone, tant bien que mal on est au rendez-vous, soulagé de ne pas s’être trompé d’heure.

Car en ces semaines de confinement, le temps s’écoule bizarrement : étiré, infini, sans les scansions habituelles de la journée de crèche ou d’école. Les jours de la semaine se ressemblent, c’est tout juste si l’on distingue le week-end…

« Séance de contes en live mercredi à 16h ! » En d’autres temps le mercredi était un jour très spécial. Un peu vide ou rempli d’activités diverses, il était très vite repéré. Puis il s’est dilué dans ces jours indifférenciés, et voilà qu’à nouveau il est porteur d’un rendez-vous.

APPRIVOISER LA TECHNIQUE

Il faut d’abord faire face à des appréhensions très concrètes : cette plate-forme dont tout le monde parle comme d’une évidence, saura-t-on y accéder ? « C’est vrai qu’on a raté les dix premières minutes de la séance à cause de faux code, mais c’est pas bien méchant, on n’a pas l’informatique infuse en nous », s’excuse une maman[i][1]. Une autre témoigne : « Je tiens à vous remercier d’avoir organisé pour nous la séance de contes de mercredi dernier, que heureusement on n’a pas ratée (…) Ma fille a beaucoup adoré les différentes petites histoires (…) Je peux vous dire que son premier conte en live s’est déroulé très bien : elle était à l’écoute et bien concentrée mais d’un autre côté elle bouge beaucoup et elle veut tenir le portable et utiliser les touches bien sûr. A la fin de la séance, j’ai rencontré des difficultés de connexion et malheureusement on n’a pas suivi jusqu’à la fin du conte. »

Problèmes de batterie, de tablette cassée, comprendre comment activer ou non la caméra ou le micro, autant d’obstacles qui peu à peu s’amenuiseront. Mais si cet aspect technique est important, c’est que chaque rendez-vous est unique. Rien n’est enregistré, pas de rattrapage possible.

La conteuse salue tout le monde, s’assure que chacun est bien installé, et se lance.

Dans une petite fenêtre vidéo apparaissent deux petits garçons tout excités. Au milieu de la mosaïque, le regard est attiré par une case en mouvement : visiblement ils se disputent le précieux téléphone qui leur permettra de participer. Ils jouent avec leur propre image, reculent, se collent à l’écran, filment leurs pieds, disparaissent… puis peu à peu s’apaisent. Le conte a eu raison de leur agitation : le plus petit est au premier plan, les yeux écarquillés, son frère un peu en retrait, rigoureusement immobile lui aussi jusqu’à la fin de l’histoire.

UN MOMENT DE PARTAGE…

Entre deux contes, on reprend son souffle, on regarde les autres, on découvre une forme de partage que l’on ignorait. « C’était génial, on s’est tous retrouvés à la séance de contes », raconteront trois jeunes parents -frères et sœur- qui se sont connectés avec leurs petits sur le conseil de la grand’mère, « c’était une manière d’être tous ensemble ».

Les parents sont nombreux à saluer cette dimension : « Pour nous aussi c’était un bon moment de partage, surtout qu’Aron[2] aussi prend goût à ce rendez-vous. Emma a beaucoup aimé l’histoire de galette et « La moufle », car c’est des histoires qu’elle connaît bien, et Aron adorait voir du monde et toute l’animation derrière l’ordinateur avec les autres enfants ».

« J’ai adoré la séance d’hier. Ce n’était pas seulement la séance, c’était aussi se retrouver autour d’un projet si chaleureux tous ensemble avec nos enfants, ça m’a rendue très heureuse. Merci infiniment. Sam a écouté plus de la moitié, ensuite est parti. Mais je sais qu’il était très intéressé et sa sœur Tina aussi. »

Chacun étant confiné chez soi dans des conditions plus ou moins favorables, peu à peu le rendez-vous avec la conteuse ouvre à des retrouvailles plus larges : « Nina et moi étions bien présentes pour la séance. Nous avons trouvé ça génial. Nous ne nous ennuyons pas depuis le début du confinement, mais c’était très sympa de changer notre quotidien. Nina a été très attentive, ça lui a beaucoup plu (à moi aussi d’ailleurs !). J’ai trouvé cela très émouvant également d’avoir pu partager ce moment avec les autres enfants et de les voir à la fin de la séance, ça nous a fait du bien ! Nous serons présentes à la séance de mercredi prochain et je me suis permis d’en parler à une de mes amies pour ses enfants de trois et cinq ans. »

C’est comme si l’on découvrait une manière nouvelle de faire vivre la relation : « Malgré les moments difficiles qu’on traverse, en ce qui me concerne j’ai trouvé ça agréable de voir du monde même à travers l’écran, ça casse la monotonie et l’isolement (…) J’espère que tout le personnel de la PMI va bien. »

Les liens noués avant le confinement perdurent, c’est l’occasion d’en être rassuré, et autre chose se fait jour, une sorte de sentiment d’appartenance difficile à définir : à un groupe ? un événement ?

… POUR DE NOUVEAUX LIENS

C’est nouveau. A l’image de sa propre petite vignette à l’écran qui, juxtaposée aux autres, crée une mosaïque, on se fait une place dans le dispositif et on y tient.

On le mesure, en creux, à la lecture des mails d’excuses : « Mon fils Anton était très malade, il avait de la forte fièvre et aussi une otite donc j’étais obligée de m’occuper de lui et comme mon mari a repris le travail lundi dernier, je n’ai pas pu malheureusement assister à la séance de ce mercredi. »

Comme cette mère, d’autres parents tiennent à s’expliquer : « Pour moi c’est devenu un rendez-vous à ne pas manquer pour toute la famille, même si j’ai dû partir au milieu de la séance pour un rendez-vous médical mais mon mari a pris la relève et à mon retour j’étais contente de savoir qu’ils sont restés jusqu’au bout, car pour lui c’était la première fois. Il a essayé de gérer au mieux et il s’excuse auprès de vous car il m’a dit il a voulu vous passer le bonjour mais il ne sait pas si vous avez entendu, avec l’agitation des enfants. »

« Bonjour, j’espère que vous allez bien. Nous avons manqué au rendez-vous d’hier car on était sortis marcher un peu avant la séance, mais on est restés plus longtemps que prévu. » La semaine suivante, cette famille écrira à nouveau : « Merci beaucoup d’avoir pensé à moi et à mes garçons (…), la joie était au rendez-vous, hier Arnold était content d’écouter l’histoire de la galette ». Suivent des émojis de remerciement, applaudissements et cœur…

La mère d’Anis et Tino, elle, se débrouillera pour « passer faire un coucou » à la fin de la séance, quand le père de Lilas préviendra : « Je ne pourrai pas être là à 16h demain, on m’a mis une réunion. »

Tout se passe comme si l’on continuait à faire partie de l’aventure, même quand on a sauté un épisode.

DES SURPRISES

Une famille de cinq personnes qui vit à l’hôtel dans des conditions précaires, raconte : un jour le papa, de retour du travail, frappe à la porte… rien, pas de réponse. Il entre et découvre, stupéfait, sa femme et ses trois enfants captivés par la conteuse : « il n’y avait jamais eu autant de silence à la maison depuis le confinement », expliquera la maman.

On l’a vu : certains parents notent l’attachement de leurs enfants à ce rendez-vous et demandent si « il y a conte la semaine prochaine ». Ils remarquent que le petit anticipe : « J’ai bien aimé le choix des contes et la réaction d’Amar pour « Les Frères chinois ». Avant la séance, il me demandait si on aurait le conte de la petite galette, et décidément il était ravi ».

C’est l’occasion pour les parents de s’apercevoir que, non seulement à trois ans leur enfant  peut être captivé par des récits, mais qu’il les connaît et peut anticiper le plaisir qu’ils lui procureront ; c’est bien souvent une découverte.

Cependant ce n’est pas toujours si clair et, devant une proposition inhabituelle, on n’imagine même pas que le petit dernier s’intéressera ; comme ce père qui note, très surpris, que son enfant lui demande de raconter à nouveau un conte, alors qu’il n’avait pas l’air d’écouter pendant la séance.

Pour plusieurs enfants, l’écoute régulière des contes leur donne envie de raconter à leur tour, souvent au parent mais pas toujours, comme ce petit garçon qui conte à nouveau les histoires à son grand frère et son petit frère de trois ans.

Notons aussi que des grands-parents se sont saisis de cet exemple pour, à leur tour, raconter à leurs petits-enfants confinés au loin.

« ça dure une demi-heure, mais en fait ça dure toute la journée », résume une maman.

DES CONTES QUI FEDERENT

Peu de parents auraient misé sur une telle réceptivité au conte et découvrent des goûts sélectifs chez leurs enfants : « J’ai attendu la séance avec impatience. Pour Emma c’était un peu difficile, elle reste pas en place mais au moment de l’histoire de « Roule galette » j’ai eu toute son attention car elle aime cette histoire, comme apparemment la majorité des participants ». Un peu plus tard : « Anis et Emma étaient trop agités pour retenir leur attention, mais « la galette » a coupé court à ça ».

Certaines histoires recueillent tous les suffrages, c’est le cas de « Roule galette » et « Les cinq frères chinois ». Force est de constater qu’ils rassemblent les générations, comme une culture commune.

D’autres contes, moins connus, sont des découvertes qui emportent l’adhésion des enfants ; la surprise puis l’émotion se lisent sur leurs visages, ils se laissent porter dans l’imaginaire par la voix de la conteuse.

EN GUISE DE CONCLUSION, PROPOS DE LA CONTEUSE

Réticente à l’idée de proposer à des enfants de passer plus de temps sur les écrans, jamais je n’aurais imaginé proposer cette modalité. Pour moi-même, la perspective de m’adresser à un ordinateur me paraissait impossible. C’est la situation de confinement qui m’a incitée à faire un essai et, dès la première séance j’ai compris que quelque chose d’intéressant pouvait en advenir.

Pour moi, il était important d’en faire un moment partagé en famille ; j’ai donc demandé aux parents de ne pas laisser leurs enfants seuls face à l’écran.

L’intensité de ces moments -l’attention des enfants, les témoignages des parents touchés de cette proposition et émus d’être témoins de l’investissement de leurs petits - m’ont surprise et ont donné au projet une mesure qui dépasse largement ce que j’avais imaginé.

 Isabelle Sauer et Nathalie Virnot, juillet 2020

[1] Toutes les citations sont tirées des témoignages de parents

[2] Tous les prénoms ont été modifiés